La première fois que j’ai eu l’occasion de voir et de peindre un homme nu c’était au collège.
Grand émoi dans la classe ce jour là!
Nous avions toutes entre quinze et seize ans, et, contrairement à l’époque actuelle, à cet âge, à part quelques unes d’entre nous, nous étions toutes très naïves, et ne connaissions pas grand chose de la vie, même celles qui se donnaient des grands airs et prétendaient tout connaître.
Quand à moi je devais certainement être de celles qui étaient les plus “oies blanches”.
Il faut dire que je sortais d’une école religieuse “ Les sœurs de la croix”.
Quand j’y repense, c’était quelque chose!
Pour ne pas aller en enfer il fallait obligatoirement faire sa prière matin et soir.
Pas trop difficile jusqu’à un certain âge, mais au bout de quelque temps…
Mais, surtout, et là ça devenait ubuesque, il ne fallait “absolument pas” se regarder toute nue dans la glace sous peine des feux de l’enfer à perpétuité!!!
Moi j’avais de la chance, je n’avais pas de grand miroir à ma disposition, aussi je ne pouvais me voir qu’en morceaux, ce qui à mon avis, devait me valoir quelques indulgences et m’éviter le châtiment suprême.
Mais je me faisais beaucoup de soucis pour mes copines qui enfreignaient cette interdiction…
J’étais vraiment naïve quand j’y pense.
Voir des femmes nues au cours de dessin, c’était vraiment transgresser tous les principes que l’on m’avaient inculqués à l’école, mais des hommes nus… misère, c’était l’enfer assuré!
Il faut dire que cette époque était très pudique.
Une speakerine a été renvoyée de la télé parce qu’elle avait une jupe qui laissait voir ses genoux!
Brigitte Bardot avait été excommuniée, ou presque, pour son film “Et Dieu créa la femme”.
Rien à voir avec aujourd’hui…
Nous étions donc impatientes de “voir” ce modèle.
Et nous l’avons vu.
Ce n’était pas un jeune homme, il devait avoir au moins une cinquantaine d’années, et le moins que l’on puisse dire c’est que ce n’était pas un Apollon, non, pas vraiment un Apollon.
Il n’avait rien de Robert Taylor dans “Quo Vadis”, ni de Charlton Heston dans “Ben Hur”!
Aussi, quand on nous avons vu cet homme nu, sur l’estrade, les réactions n’ont pas manquées.
Quand je dis nu, ça n’était pas tout à fait exact, et c’est sans doute pour ça que ça nous avait tant fait rire.
Il avait gardé son slip.
Un slip genre “Petit Bateau”, en coton plus gris que blanc, parce que sûrement plus très neuf, qui lui remontait jusqu’à la taille, et dont les côtés s’entrebâillaient et retombaient mollement sur ses cuisses, nous laissant entre apercevoir… mais bon, je ne m’étendrais pas davantage, au risque d’être censurée.
Pour un premier modèle homme ce fut une expérience plutôt comique.
D’ailleurs les rires fusaient, retenus ou francs, et pendant quelques minutes il y a eu un beau remue ménage dans la classe.
Imaginez une classe composée d’une trentaine de gamines d’une quinzaine d’années, mises en face d’un monsieur plus très jeune, pas très beau, en slip, grimpé sur une estrade et exposé à leurs regards critiques et cruels.
Car il n’y a rien de plus cruel et de plus impertinent que la jeunesse.
En y repensant je plains cet homme et je l’admire car il a eu du courage de nous affronter ce jour là.
Nous étions vraiment des chipies.
Puis nous nous sommes mises au travail et le calme est revenu.
Au cours de Deauville, la première année avons eu, un modèle homme.
En fait il y en a eu deux, mais je n’ai travaillé que sur le deuxième.
J’ai beaucoup aimé le faire.
Il n’avait pas gardé son slip…
Je n’ai pas rencontré de difficultés majeures, à part le petit doigt de la main droite qui s’est cassé pendant la cuisson.
Je n’ai pas voulu le recoller, ce qui était tout à fait possible, aussi je l’ai laissé comme ça et je l’ai appelé ‘L’homme au doigt cassé”.
Original, non?
Je l’ai offert à un copain pour son anniversaire.
Ensuite j’ai fait un portrait d’enfant, ce sera pour la prochaine fois.
Au revoir, à bientôt.
Rendez-vous à: L’homme au doigt cassé.